« Aux innocents, les mains pleines »

La formule est légèrement dénigrante, on peut en convenir, mais pour ma part j'aime beaucoup une devise approximative qu'affectionnait le père Jean Perenes (les plus anciens se souviennent de ce prédicateur brillant et tonique). Or Jean avait l'habitude de répéter cette phrase que nous allons essayer d'illustrer d'exemples : « Les innocents ne savaient pas que la chose était impossible, alors, ils l'ont faite! »

A priori, c'est absurde, ou c'est impossible à faire et on ne le fait pas, ou c'est possible et on le fait, mais faire ce qui n'est pas possible d'être fait, alors là c'est de la haute voltige philosophique. Eh bien si on y regarde plus près, combien d'actes « héroïques » posés dans l'innocence ou l'inconscience alors que le fatalisme plombait toutes les attentes !

Mon premier exemple est personnel, je pars avec le matériau que j'ai sous la main...

Dans cette fameuse visite de Rome évoquée dans le précédent numéro, il était prévu après la visite à la chapelle Sixtine, de monter tout en haut du dôme de la basilique St Pierre, histoire d'avoir une vue imprenable de la ville. L'aventure valait la peine, disait le guide. Dans un premier temps nous empruntons l'ascenseur pour parvenir au niveau des colonnes du Bernin, colossales, fantastiques. L'esplanade est vaste, la vue, superbe, l'objectif, atteint, me semble-t-il. Je contemple, je savoure, je ne réfléchis pas, je suis le groupe. Voilà que nous franchissons une petite porte devant laquelle il y a une pancarte que je ne lis pas. Et j'avance... Je n'ai pas monté dix marches que je m'aperçois de l'horreur ! Je suis embarquée dans un escalier en colimaçon et pour un bon bout de temps sans possibilité de retour en arrière... Pour quelqu'un de claustrophobe, oui, c'est l'horreur absolue ; si l'imagination prend le relais... Et si tu te trouves mal ? Ou si quelqu'un se trouve mal, comment les secours vont-ils pouvoir agir ? Et si l'émotion fait que le cœur lâche ? Et si quelqu'un d'un peu gros se coince dans un coude... Et si, et si... Bref, j'ai réussi à parvenir au bout des 250 marches qui se rétrécissaient en même temps que les parois s'infléchissaient en diagonale pour épouser la forme du dôme... Arrivée au lanternon, je déguste la vue sur Rome à 360 ° et la possibilité de descendre trois fois plus vite... Pas « héroïque » ? Non, du fait que le geste a été posé de manière tout à fait fortuite, mais un résultat sans le malaise anticipé me pousse à revoir les choses. ..

Deuxième exemple : Fernande qui habite à Courbera dans les Landes, va à Rome. Dans sa poche, un livre qu'elle a l'intention de faire remettre au Pape… Tout le monde à part soi rigole, elle est bien naïve ; « il est sympa le pape François, d'accord, mais de là à te donner une réponse. C'est impossible, IMPOSSIBLE ! Mais Fernande est confiante, elle remet le livre à son évêque qui est chargé d'acheminer l'ouvrage. Elle le fait en toute innocence mais avec une conviction chevillée au corps. Après tout, on retrouve bien des bouteilles qui ont été jetées à la mer… Or quelque temps après son retour, elle reçoit une lettre du secrétaire du Vatican l'assurant des prières du Saint Père. Elle n'en avait jamais douté.

Le dernier exemple a quelque chose de merveilleux. Imaginez une dame originaire du Maghreb chargée d'enfants en bas âge. Cette jeune maman trentenaire prend conscience de ses handicaps en matière d'accompagnement scolaire pour ses enfants. Elle-même est très proche de l'illettrisme dans sa propre culture, alors imaginez son embarras et son angoisse face à l'institutrice, elle « ne comprend pas tout », « c'est trop compliqué » ; en revanche elle analyse toute l'importance de l'école et elle veut « le meilleur pour ses enfants ». Alors elle se tourne vers l'équipe de soutien scolaire et entame un lien privilégié avec notre très chère sœur Jeanne-Marie en lui disant : « J'ai confiance en toi, tu me le diras, toi, si quelque chose va pas ! »

A présent, à l'issue de chacune de leurs rencontres, la jeune maman pose sa main sur le chef tout blanc de notre religieuse en lui disant « Que Dieu te protège ! » Ce geste spontané qui vaut tous les discours inter-religieux provoque chez notre religieuse octogénaire un beau rire d'émotion

Aux innocents les mains pleines.

Résumons : il n'est pas nécessaire d'avoir l'étoffe d'un héros pour parvenir à son but ; il suffit d'avoir la conviction, l'enthousiasme et la foi, et Dieu fait le reste.

Au moment où j'écris ces lignes, nous apprenons le décès de Michel Gipoulou. Or qui mieux que lui peut incarner cette sorte d'innocence habitée par la Grâce ; un être cabossé par la vie, porteur de lourds handicaps mais qui a fait « avec », dans une acceptation totale de la volonté de Dieu sans résignation stérile : « Je voulais être prêtre mais ma tête n'est pas assez solide » m'avait-il confié un jour!

Geneviève. C

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